La balade de la mort

Depuis 15 jours en vadrouille chez des amis
dans un hameau perdu après les sources de l’Oum-er-Rbia.
Pas d’électricité le soir mais des histoires de sorcellerie autour de la lampe berbère.

Sentir ailleurs – sentir ici
La mort ne me concerne pas.

Pas de télévision pour rappeler
qu’ici ou là on trucide ou on a faim.
C’est les étoiles si pures qui rappellent
que la galaxie s’éteindra un jour.

Sentir ailleurs – sentir ici
La mort ne me concerne pas
la la la !

La fin du soleil,
l’implosion de notre planète,
notre bêtise insondable,
notre existence dans le hasard.

Sentir ailleurs – sentir ici
La mort ne me concerne pas,
la la la !

A dos d’âne vers le plus proche village
la selle jaune et noire me rappelle le dernier métro,
j’accroche la bride à une poutre digne d’un western,
flatte de la main un autre équidé aux longues oreilles
et rentre chez le coiffeur.

Sentir ailleurs – sentir ici
La mort ne me concerne pas
la la la !

Sans contrainte,
trouver de la grâce à flotter
dans une destruction annoncée,
et jouir par toute cette liberté d’un fait étrange :

la mort ne me concerne pas.

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Naissances

Que peut-il bien se passer dans le cerveau d’un nouveau né ?
On pourrait croire que la maigre matière à analyser limite l’activité.
Mais si l’on considère la déjà longue habitude de neuf mois de sensations déjà connues,
on peut trouver une analogie entre le mot naissance et le mot découverte.

Ainsi, par chance ou par volonté,
nous pouvons tous découvrir quelque chose
et l’énormité de cette chose ou son insignifiance ne sera que relative
pour ne pas dire sans intérêt.

Et la tricherie qui est dans nos gènes – don de la nature limitant notre ennui,
nous permet la liberté d’envisager le point de vue d’un autre soi-même
avec ses sensations déjà connues,
des façons neuves de feindre que l’on comprend le monde,
ou plutôt, de feindre que l’on peut le comprendre.

Un éclair de tromperie aujourd’hui m’a ébloui de lucidité, je suis encore né.

Petit Piquey (33)

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Jouer avec la Cène de Prévert

Il leur a lavé les pieds
Et le dernier il s’assied.
Ils sont treize à table,
Tout se dire avec des mots affables.
Un chêne a été abattu pour cette cène,
Pas un n’y pense ni n’a de peine.
Ils ne mangent pas
Pourtant ils ne sont pas las.

Ils ne sont pas dans leur assiette
Les idées comme dans une boite.
Sans savoir que c’est jour de fête,
Leur assiette se tient toute droite
Verticalement derrière leur tête.

La Cène

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Comment peut-on vivre après cela ?

C’est formidable, INTERNET !

S’il m’arrive d’être surpris par un point d’actualité horrible,
ou par un point personnel auquel j’aurais dû m’habituer,
alors, par amusement et bien que je connaisse la réponse, je pose la question à Internet :
je tape toujours : « Comment peut-on vivre après cela ? » … Enter.

Et là devant mes yeux apparait la guérison possible, la réponse est parmi toutes celles là :
– Comment vivre avec un colon nerveux ?
– Ma maman est décédée le … à ..h et nous l’avons enterrée hier…
– Comment vivre avec une personne dépressive …
– Comment rendre la rupture moins difficile et tirer profit de cette expérience ?
– Comment vivre avec Bipolaire ? Avec manipulatrice ? Après divorce ? Avec mon plâtre ?
– Comment vivre après avoir fait un acte criminel ?
– Après une tentative de suicide ?
– Avec la peur ?
– Avec un mari froid et dur ?

Alors je méprise ces douleurs car après tout, elles ont trouvé leurs solutions sur Internet
alors que pour ma question … rien du tout.

Mais … le mépris suppose une complicité avec la certitude
et tout sceptique devrait se l’interdire.
Pourtant, plus il a le sentiment de son insignifiance personnelle,
plus il méprise les soucis des autres qui cessent par là d’exister.

Comment peut-on vivre après cela ?

Bordeaux dans la brume

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Le cri

C’est ici, sur cette hauteur délaissée du Kandar
que je viens en catimini m’exposer à un geste venu du passé.

Nos lointains ancêtres, contrairement aux anglo-saxons actuels
n’auraient pas pris au sérieux la psychanalyse.

Non, je vous le dis : « Il faut HURLER. ».

Evidemment que nous parlons !
Ceci n’allège pas suffisament le fardeau ?
La mort ? Pécadille !
La naissance, oui, autrement irréparable !

Non, je vous le dis : « Il faut HURLER. ».

Et puis l’indifférence que nous avons appelée de tous nos voeux
pour nous accorder la paix,
et la sagesse sensée nous délivrer de nous-même,
une entrave de plus !

Non, je vous le dis : « Il faut HURLER. ».

Sur cette plate-forme du Kandar, disais-je,
loin des asiles où on m’enfermerait,
hurloir choisi et aimé pour se débarasser d’une supériorité moderne et fatale,
je rejoins mon être de réflexes, je rejoins Cromagnon.

Oui, je vous le dis : « Il faut HURLER un bon quart d’heure par jour. ».

Kelaat M'Gouna

Maroc : Kelaat M’Gouna

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La génèse

Selon les chrétiens, Adam aurait été chassé du paradis des animaux pour une raison que je trouve douteuse :
la recherche du bien et du mal.
Dommage collatéral : le serpent diable fut lui aussi maudit.

Mais toi qui me lit en rêvant
comme tous les autres qui ne me lisent pas,
tu devines l’évidence de la vérité non chrétienne
car tu connais les hommes et ce qui les meut :
la recherche de toute parcelle de gloire.

Adam ne fut donc pas chassé.
Il partit du paradis à la recherche de son grand destin,
pour en remontrer aux animaux qu’il placera à sa botte,
pour en remontrer à Dieu,
pour briller coûte que coûte.

La gloire de l’homme se trouve partout et même dans des détails souvent très amusants
mais elle a besoin de reconnaissance.
Adam inventa son malheur :
sa faiblesse devant les encouragements ou les dénigrements.
Le royaume du flatteur était né.

Les plus connus de nos grands personnages historiques
ont bien compris cela en tentant de surmonter ce point négatif :
« Qu’importe que l’on dise du mal de moi du moment qu’on parle de moi. ».

Je te laisse chercher les merveilleux exemples de gloire de ton entourage,
je te laisse chercher, si tu es de bonne humeur, la gloire de tes motivations,
mais pas plus tard qu’hier, dans cette église où je pensais photographier des vitraux,
j’ai imaginé une gloire immense,
peut-être la plus grande,
peut-être la plus pure des gloires
… en observant une vieille dame prier.

Ne serait-ce qu’une seule fois être écouté et reconnu par le créateur de tout,
être en lien direct avec LUI,
quelle autre gloire serait plus grande que celle-ci ?
Quel autre aspect de la vie peut concurrencer celui là ?

Après cela !
Notre obsession de parler de nous,
notre manie du tapage,
nos passions douteuses,
notre création fausse et désincarnée,
nos inventions,
et nos pactes tacites, pauvres malheureux, pour nous louanger sans vergogne,
et nos surestimations de l’autre, aimé ou non,
qui en retour nous doit bien une parcelle de la reconnaissance terrestre…

Après cela :
S’estimer connue de Dieu – avoir sa complicité et ses adulations !

La vielle dame sort de l’église, sans un regard pour moi
dont pourtant l’incongruité en ces lieux me parait flagrante.
Comment lui en tenir rigueur ?

Santiago (Galice)

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C’est étonnant !

Chaque fois que Kader m’a accompagné sur le grand Kandar
il s’est passé quelque chose de subtil,
tellement inoffensif que je ne m’en suis pas aperçu.

Ce soir, devant le thé à la menthe qui me pousse quotidiennement au bilan,
je pense à Madère avec émotion.
C’était il y a longtemps.

Et je me souviens de ce mirador particulier
qui nous montrait un avatar de Rio de Janeiro,
de ce mirador au dessus de FAIAL
où nous avons tous dit : « C’est beau ! ».

Et pourtant, depuis le temps que je vis avec les Berbères, j’ai appris !
Depuis le temps que je trébuche sur le Kandar avec Kader !
Depuis tout ce temps où il n’a jamais dit que c’était beau sur la terre !

Et pourtant, j’ai réfléchi,
alors que devant ces paysages… écoute-moi ! Que l’émotion me bouleversait !
Alors que je connais les animaux qui vivent et meurent en ces lieux, depuis tout ce temps !
Alors que, je m’en souviens à présent, Kader dit toujours : « C’est étonnant ».

Pourquoi l’art est-il beau ?
Parce qu’il est inutile.
Pourquoi la vie n’est pas belle ?
Parce qu’elle est un tissu de buts – de desseins – d’intentions.
La beauté des ruines ? Celle de ne plus servir à rien.
la beauté du passé lorsque je pense à Madère ?
Me le remémorer – le rendre présent … ce qu’il ne peut être.

Se défaire de toute illusion pour parvenir enfin à nos rêves.

Maroc : Magots du moyen Atlas

Maroc : Magots du moyen Atlas

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Le courage futile

Ceux qui ont eu la gloire d’être là,
ceux qui ont seulement subi leur propre veulerie,
ceux qui pèsent les sentiments humains avec un malsain recul,
tous ceux là expliquent ce qu’est le courage :
le courage, c’est d’avoir peur et de le surmonter.

Personnellement, j’ai peur et j’ai décidé de subir le courage.

Depuis trois ans j’ai commencé à lire un livre où chaque mot est une bataille,
deux cent quatre vingts une pages lues, pages d’apocalypse,
toutes ces lettres jetées sur moi rougeoyantes de l’enfer,
ne montrant que le vide et l’infini,
un homme en ombre chinoise, regardant la vie en l’oubliant.

J’ai peur et j’ai décidé que le courage n’était pas futile.

Et ce livre, dont le seul espoir est que je l’engloutisse,
tous les soirs il me regarde
du haut de ses trois cents pages non encore lues.

Afin de retarder l’immense tragédie,
l’inacceptable action que de placer ce livre à côté de tous les autres,
ce livre depuis longtemps terminé par son auteur
serait achevé par moi le lecteur.
Moi, conscient avec lourdeur qu’il me faut absolument éviter
de ne plus pouvoir lire ce livre pour la première fois.

Le découvrir ! J’ai peur de mourir sans ce plaisir mais j’ai le courage de le retarder.

Reflets – Forteresse de Blaye

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Le vide

Lorsque l’on connaît le pouvoir de notre imagination
on choisit son canapé et on oublie la vie qui nous pesait
et cette vie, ancienne blessure, ne fait plus mal
sauf d’avoir fait mal.

Alors nous subissons nos morts en pure perte
car notre vitalité nous ranime dans notre éternité.
Admettre que tout ce qui se produit
ne se produit qu’en nous,
admettre que tout ce qui se termine
ne se termine qu’en nous ou avec nous.

Notre imagination nous oblige d’entendre
et ce bruit peut être le bruit de nos frayeurs
lorsqu’on est enfant…
Il peut aussi être le bruit de notre enfance
lorsqu’on est très vieux.
Toujours notre vitalité nous ranime dans notre éternité.

Et notre âme intime à qui nous n’infligeons plus aucune croyance,
et notre ennui à qui nous n’accordons plus aucune insatisfaction,
et puis cette route vide de ne plus rien sentir,
et alors cette dernière peur qui nous surprend, celle du sommeil de l’univers.

Le vide – Gare Montparnasse

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Je n’ai pas tué Aliona Ivanovna

Friedrich Nietzsche fit l’éloge des écrits de Dostoïevski : « Dostoïevski est la seule personne qui m’ait appris quelque chose en psychologie ».

Mais Nietzsche avait la volonté de ne vivre que pour créer son oeuvre, TOUTES ses émotions étaient son travail, même « Crime et châtiment ».

Pour nous autres, qui nous contentons de vivre,
l’art nous délivre, de façon illusoire,
du sordide d’exister.

Ainsi, aussi longtemps que nous éprouvons les maux de Raskolnikov*,
homme qui voulait inventer une nouvelle liberté,
nous n’éprouvons pas les nôtres,
vils parce qu’ils sont nôtres,
vils, tout simplement parce que nous existons.

Lâches émotions que celles de l’art,
nous n’avons à les payer ni par des souffrances, ni par des remords.

* C’est moi qui ai tué, à coups de hache, pour les voler, la vieille veuve de fonctionnaire et sa soeur Lisaveta.
Crime et châtiment 1866 (Fedor Dostoïevski).

Château de Saint Germain en Laye (78)

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Vous êtes juges

Il y a plein d’expressions qui nous semblent idiotes ou tout simplement fausses.

Personnellement, je les aime pour tout autre chose – je les aime pour l’immensité de ce qu’elles cachent.

La mère-patrie.

Des pierres précieuses.

Travailler rapporte.

La mort dans l’âme.

Pas de fumée sans feu.

A la vie, à la mort.

Je dis ça mais j’ai rien dit.

Confondre un criminel et le traduire en justice.

Le but du jeu.

Jamais une armée ne s’était déshonorée de la sorte.

Repose en paix.

Route immergée du Groix (Morbihan)

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Un an à Imouzer du Kandar – Histoire 30

Le mot BEAUTE couvre les choses qui n’existent pas,
mais mes pas sur le Kandar sont bien réels,
sentir comme on regarde,
penser comme l’on marche,
écouter comme on a peur.

Le mot beauté couvre ces choses
en échange du plaisir qu’elles me donnent.

Et l’étrangeté de ces choses
c’est de rester belles
car elles restent inconnues dans l’inexistence et l’oubli,
afin d’être toujours vues pour la première fois,
unique condition de leur beauté.

Le mot plaisir couvre l’émotion de nos pas
nous faisant oublier l’éternelle nouveauté du monde.

Gorge dans le Djebel Tazzeka

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Un an à Imouzer du Kandar – Histoire 29

Il y a fort longtemps, alors que je pensai ne rester qu’un an,
je me posai la question : « Pourquoi suis-je ici et non ailleurs ? ».
Etre vivant quelque part, c’est avoir trouvé l’endroit
où pouvoir porter les rêves du monde.

Ne pas être ici, à Imouzer,
c’est être dans un univers de wagons attendant le départ,
le départ de choses encore vivantes ou existantes ou encore en mémoire,
la mort est signée mais tout cela attend en gare.

Alors je suis à Imouzer, sous le grand Kandar,
cette montagne qui me cache la vérité
et donc la défaite – alors que comme vous j’ai tout raté.
Etonnante aventure que de ne pas être vaincu.

Je sors dans la rue
Walid me salue
il touche son coeur avec la main,
j’achète des nèfles,
là-bas, pour discuter, il y a trois sages,
pas de gare à Imouzer,
un des trois ressemble à Jean Gouyé
qui, quant à lui … a pris le train.

Ce doit être un rêve,
ailleurs ce serait une réponse.

Trois sages à Chaouen

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Dicoperso

SURREALISME
Lorsque Dieu est mort les hommes ont tout trouvé étrange dans la réalité.
Ce fut le surréalisme.

ACTION
L’action n’est pas la lutte, c’est seulement un signe de bonne santé.
Lorsque je suis malade, je m’enferme, je me couche … et je lutte.

REGLE
Seuls les jeux comprennent des règles.
Le tricheur est celui qui ne s’impose aucune trêve.

DECOUVERTE
L’esprit découvre l’identité,
l’âme découvre l’ennui,
le corps découvre la paresse.

DESIR
Humiliation de la somme de nos vérités.

OBSESSION
Protégés par la démence de nos obsessions, nous prospérons.
Si par un rare don naturel nous nous libérons des idées fixes, c’est la perte et la ruine.

DOGME
L’homme est avant tout un animal dogmatique et quoiqu’il dise et quoi qu’il fasse,
il est pour lui-même le dogme suprême – il ne protège rien plus fort que son moi.

SOLEIL
La vérité, la réalité, le scandale de rayons féconds.

REVE
Comment, après le réveil, recommencer la besogne d’aligner des idées
quand, dans l’inconscience, nous étions mêlés à des spectacles grotesques et merveilleux sans entrave causale ?

LIBERTE
Nous reculerons toujours devant notre plus grande peur : l’immensité du possible.

PREUVE
Rien ne prouve que nous sommes plus que rien.

VIE
C’est ce qui se décompose à tout moment – une perte monotone de lumière.

DESTIN
Nous prêtons des valeurs à notre vie propre alors qu’elles n’appartiennent qu’à la vie en général
Le Destin de la vie existe bien – facile à deviner – inchangé depuis les premiers jours du monde,
presque synonyme du hasard.

Noirmoutier (Vendée)

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Tricherie salutaire

Parmi mes plus beaux moments vécus ici, à Imouzer du Kandar,
une bonne partie le furent dans cette arrière cour du bar de Kader,
théâtre lunaire représentant la terrasse d’un impossible palais.

Ainsi, comme en ces jours où monte l’orage de la mémoire,
cette fin d’après-midi incruste les bruits de la rue
qui parlent tout haut, d’une voix solitaire.

Comme la couleur des bougainvilliers qui me cernent
j’imagine la rue qui se plisse de lumière intense et pâle
jusqu’à tenter l’obscurité blafarde dont le tumulte craque d’Est en Ouest.

Froid – tiède – chaud – tout cela à la fois et en une seconde
anéantie par tous ces corps humains – avatars du vieil Adam – qui déferlent de l’autre côté du mur, vers la place centrale,
cailloux lancés dans le silence pour ouvrir une brèche dans la quiétude du crépuscule.

Ce n’est qu’alors que je prends conscience de ne plus entendre l’oiseau chanteur des voisins
et, comme tout se répond,
que je distingue clairement derrière le mur la présence silencieuse d’Halim, le charretier qui rêve, à deux pas.

Alors, sans me questionner sur ce que peut penser Halim en ce moment,
en oubliant le murmure de la fête au loin et de ses odeurs plus proches,
je m’exerce inutilement à baptiser les choses et les événements afin d’éluder l’inexplicable.

Expliquer ! Amusement qui comme toute activité de l’esprit est une tricherie salutaire,
abstraction qui nous dispense de ressentir l’infini et l’horreur,
en construisant une réalité adoucie, confortable et inexacte.

Marrakech – Bougainvilliers des rues

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La liberté heureuse

Le mot bonheur ne signifie rien.
Alors on pense aux autres mots.

Pomme par exemple, qui nous dit qu’il y a des pommiers, des fruits, des dents qui croquent …
Désaxé par exemple, qui nous dit qu’il peut exister des axes … qu’on peut suivre et puis qu’on risque de perdre …
parce partout … la brume.

Mais bonheur … BONHEUR … non, ça ne dit rien,
parce qu’une bonne heure pour l’homme, ce n’est pas suffisant,
ça ne montre même pas comment on y arrive, ça n’a pas de niveau
bien que l’on puisse dire : « Un grand bonheur »
et que la différence entre un grand et un petit ne soit pas suffisante.

On peut dire qu’il s’agit d’un mot trop solitaire pour déambuler avec les hommes,
on peut dire alors que c’est un mot pour les Dieux …
mais on se doute bien que les Dieux préfèrent la guerre – dans leur éternité d’ennui.

Si on avait dit : « Une liberté heureuse » …
on aurait su par quoi commencer et par quoi ce commencement pouvait déboucher.

Si ON peut être heureux, seul dans une société heureuse,
ON ne peux plus l’être dans une société malheureuse parce que pas libre.

Si on avait dit : « Une liberté heureuse » …
On aurait pu organiser les choses pour que les gens comprennent le mot Liberté,
on aurait pu organiser une société axée sur la Liberté …
et suite à cela, imaginons – ô folie ! – imaginons que chaque libéré juge qu’il serait encore plus libre
s’il apprenait cela à son semblable – si son semblable apprenait aussi à être libre.

Alors, on aurait cessé d’abrutir, d’exploiter, de manipuler, de séparer,
on aurait tout pensé pour que les individus existent en apprenant à être libres.
Une liberté heureuse pour tous …

Ce ne serait pas ça une Démocratie ? Une vraie ?
Comment peut-on encore y croire ?

Chenilles à Petit Piquey (33)

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Et pourquoi pas un poème tout simple ?

Dans mon pays, les tendres preuves du printemps et les oiseaux mal habillés sont préférés aux buts lointains.

La vérité attend l’aurore à côté d’une bougie. Le verre de fenêtre est négligé. Qu’importe à l’attentif.

Dans mon pays, on ne questionne pas un homme ému.

Il n’y a pas d’ombre maigre sur la barque chavirée.

Bonjour à peine est inconnu dans mon pays.

On n’emprunte que ce qui peut se rendre augmenté.

Il y a des feuilles, beaucoup de feuilles sur les arbres de mon pays. Les branches sont libres de ne pas avoir de fruits.

On ne croit pas à la bonne foi du vainqueur.

Dans mon pays, on remercie.

René Char (Qu’il vive – 1968)

Petit Piquey

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La gaîté de l’air

Un an à Imouzer du Kandar – Histoire 27

Le guide

Dans la cour de l’épicerie de Kader _ l’heure du thé, mes interlocuteurs français sont excités comme des puces :
Akioud (4.030 m) – Ras (4.083 m) – Timesguida (4.088 m) – Toubkal (4.167 m) – M’Goum Jbel Ayachi
Ils me racontent leurs exploits grimpants tels des tiroirs caisses de grands magasins.
Les hauteurs de leur collection s’additionnent et effectivement, dans une légère torpeur je sens l’oxygène se raréfier, mon cœur ralentir … je les oublie … et sens comme une gaîté de l’air, très fraîche sur ma peau, comme un antidote à l’ennui.

Désolé les gars – j’ai mon compte pour cette discussion, il faudra continuer sans moi.
Je les oublie en constatant le jaune qui pâlit et se reflète sur les façades, à l’heure imprécise qui trahit un peu plus cette journée.
Elle tombe lourdement comme toute journée consacrée aux autres, qui scelle de façon imprécise, jusqu’à la souffrance, le bonheur de l’inconscience.
Oui l’heure tombe, Fantasia de lumière qui cesse – comme un air fragile de mandoline, attendant une relance de vigueur, celle du soir – toute aussi inutile.
Douce, elle tombe.

Alors je pense aux gouffres du grand Kandar qui s’offrent au timide Jbel Abad (1.768 m), de ces dépressions que l’on observe et ressent tout seul. Me croiraient-ils, ces alpinistes, si je leur disais qu’il y avait une dune cachée là-bas ? Une dune devant laquelle je me suis assis en les écoutant ? Toutes ces pierres jetées du Kandar et fracassées en bas, pierres désagrégées en sable, comme des idées, toutes ces journées en attendant le thé, comme le moment de l’amnistie, une dune où je sens comme une gaîté de l’air, très fraîche sur ma peau.

La dune – Merzouga

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La femme adultère

ALBERT CAMUS
Au milieu de l’escalier, la brûlure de l’air dans ses poumons devint si coupante qu’elle voulut s’arrêter.
Un dernier élan la jeta malgré elle sur la terrasse, contre le parapet glacé qui lui pressait maintenant le ventre.

METAPHORE
En grimpant, à la moitié de sa fuite, ses poumons tels des forges prêtes à exploser, elle pensa à tout cesser.
Son ultime effort la jeta sur la scène de sa vie, collée au parapet glacé comme pour freiner son envie.

SURPRISE
C’est en montant hors d’haleine l’escalier qu’elle pris conscience de son envie et désira s’arrêter.
Le hasard la mena sur la terrasse et c’est le parapet contre son ventre qui la calma.

HESITATION
Où cela se passait-il ? Au travail ? Dans le métro ? Dans ce bar sinistre ?
Il y avait là … ce tapis, non, cet escalier où j’avais mal,
mal au coeur, hors d’haleine, ou la tête si perdue que je pensais m’arrêter,
au bord de ce précipice, peut-être une terrasse et ils étaient tous présents
me pressant fort ou m’embrassant, non ce n’était que le froid muret contre mon ventre.

PRECISION
A minuit moins douze je montais l’escalier,
il ne fallut que huit secondes pour que mes poumons crient leur douleur
et une demi-seconde pendant laquelle j’imaginais m’arrêter.
Un dernier effort de quelques instants me permettait d’accéder à la terrasse.
Le plus étonnant, c’est qu’il était minuit et quart lorsque je pris conscience du parapet glacé contre mon ventre.

DISTINGUO
Dans un escalier (ce n’était pas dans l’allier et je ne suis pas folle à lier)
que je montais (pas à cheval) en me précipitant (pas si près si piqua)
vers la terrasse (pas comme une poufiasse)
et c’est tout contre le garde-corps (pas le corps de garde)
que je sentis mon ventre chaud (pas glacé).

OFFICIEL
J’ai l’honneur de vous informer des faits suivants :
Cette nuit même, dans l’escalier qui mène au rempart de la casbah
j’ai observé vers minuit une femme qui montait seule et comme affolée jusqu’à la première terrasse.
Elle observa longuement les tentes du village nomade, pleura plaintivement
et repassa devant moi en disant : « ce n’est rien mon chéri, ce n’est rien ».
Je vous prie, Monsieur, de m’indiquer les conséquences de ces faits
et l’attitude qu’il serait bon de prendre en de pareilles circonstances.

ONOMATOPEES
En montant l’escalier (tac tac tac tac) jusqu’à la limite de ses poumons (tchouc tchouc tchouc)
(variante : teuf teuf),
une femme atteint la limite de sa volonté (stop).
Un dernier élan la jeta contre le parapet glacé (klong !) où son ventre se colla (gla gla gla).

ANALYSE
Alors l’escalier (c’est le premier lieu) ou une femme montait (c’est le sens), minuit environ (c’est le temps).
Sur la terrasse (deuxième lieu) elle ne fit rien (c’est l’action).
Puis elle plaça son ventre contre le parapet glacé (c’est la suggestion).

IGNORANCE
J’i rien vu.
Une femme ? I fisi nuit et pi ça courrait.
Dans l’escalier ? Sirement, ji crois jisqu’à la terrasse.
Ce que ça a fait ?
Collée au parapet.
Glacée ? Bien sir glacée !!! Li vent vient di désert en janvier, tout i glacé.

GUSTATIF
Ils ont eu le bon goût de faire cet escalier qui monte sur les murailles,
je mange les marches quatre à quatre jusqu’à ce que mes poumons exhalent comme une cocotte,
sur la terrasse monte une odeur d’agneau brûlé,
je me colle au parapet, aimantée comme une nougatine glacée
pour ingurgiter par mon ventre toutes les terreurs de la solitude.

TELEGRAPHIQUE
RUES DESERTES DANS LA CASBAH STOP
ESCALIER INFRANCHISSABLE D’UNE SEULE TRAITE STOP
TERRASSE VENTEE VERS L’ETOILE DU SUD STOP
TETE QUI TOURNE STOP
ACCROCHEE AU PARAPET VISION DE LA LIBERTE STOP
MON VENTRE MON VENTRE MON VENTRE
SIGNE JANINE

TANKA
Son ventre trop lourd
ah – comment gravir les marches
tombe anéantie

elle gémit : ce n’est rien
courage invincible

Terrasse vers Telouet

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Voyage sans soucis

Seuls ceux qui ont vraiment voyagé ont ressenti ce qu’est le regret d’un paysage routinier.

On avance dans cet inconnu très beau et notre modernité transforme la beauté en lenteur puis en langueur.

Ainsi la poussière passe du jaune au rouge puis revient à l’ocre
et les canyons remplacent les épineux
puis la poussière passe de l’ocre au rouge
et les pistes se démultiplient comme à l’infini
puis vous sortez des canyons et tout recommence.

Ainsi se passe la journée,
c’est alors que vous arrivez en ville comme par surprise.
C’est fini.

Votre malheur profond commence lorsque vous prenez conscience que c’est fini,
qu’avant il y avait quelque chose et que maintenant il n’y a plus rien.
Finalement c’était bien court.

Avec la vie c’est heureusement différent,
lorsque vous êtes mort vous ne regrettez rien :

Voyage sans soucis.

Entre Rissani et Zagora (Maroc)

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Le choix de l’enfer

Généralement nous n’avons que deux attitudes :
– l’implication (même l’implication du doute)
– la disponibilité (à tout le reste)

Alors parfois nous choisissons et ce choix peut être vu de deux façons :
– choisir, c’est avancer (même choisir de ne rien faire)
– choisir, c’est renoncer (à tout le reste)

Et puis parfois nous croyons à l’exceptionnel :
– Aimer (un, si nous en sommes capables)
– Aimer (tout le reste, rendant impossible l’exceptionnel)

« Mais où est donc l’enfer ? » me direz-vous …
Il est dans le fait que ces deux choix amènent souvent à la même histoire,

alors nous admettons que cela ne vient que de nous, de notre ressenti :
– Nous dans l’enfer de la légèreté
– Nous dans l’enfer de la pesanteur.

Difficile, très difficile choix de l’enfer.

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Le sentiment est plus vrai que la raison

Lorsque l’admiration est reconnue comme une chose malsaine,
lorsque l’on a renoncé à mesurer les choses humaines – ce qui est plus grand – ce qui est plus petit,
il est important pour garder l’envie de vivre – pour expliquer le lieu de toute histoire …
il est important de prendre une décision sur ce qui est plus vrai par rapport à ce qui l’est moins.

Sentir, c’est exister tout seul irrémédiablement. Tout sentiment est à prendre en compte comme rare et sacré.

Penser, c’est exister avec la substance harmonique du monde – c’est prendre en compte l’extérieur accompagné de ses inconnues.

Agir, c’est exister avec les hommes et avec la nature – qu’il s’agisse du geste lui-même, de la parole ou de l’acte.
Ainsi, et pour donner un exemple : lorsque quelqu’un dit avec la bouche pleine de miel ou de haine : « c’est un homme d’entreprise »,
nous nous contenterons de noter qu’être un homme d’entreprise n’est qu’un événement situé dans l’action … le moins vrai.
Ainsi, nous ne nous illusionnerons pas sur les effets néfastes ou positifs des entreprises supposées.

« Le sentiment est plus vrai que la raison ».
Lorsque je pense cela je m’initie aux mystères du monde alors que lorsque je l’écris avec le plus insignifiant désir que quelqu’un le lise … je suis dans l’action et je me sauve de la vérité.

Carserne Niel à Bordeaux

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Printemps, été, automne, hiver… et printemps

Etourdissant !

Ce film de Kim Ki-duk avec Oh Young-su et Young-Min Kim est sidérant.
Je regarde les critiques sur Allociné : Enorme ! Aucune ne décrit le film que j’ai vu.
Je vérifie les éléments de mon repas avec la même méfiance que les Eléments d’un crime (du bon vieux Lars), rien d’hallucinogène,
mon état moral en cette fin d’après-midi : j’ai un peu mal aux genoux … mais rien de particulier pour le reste,
le café : de la marque habituelle.

Je relis les critiques _ il y a même un inculte total qui y a vu l’image très lassante et séculaire de la sérénité … certainement un spécialiste des westerns …
tous les autres ont trouvé le film formidable pour des raisons que je comprends peu.

En fait de sérénité, le film décrit une espèce animale dont les individus apprennent, se reproduisent, comprennent qu’il vont mourir et meurent.
Dès le début du film une lourde porte s’ouvre sur un monde étrange : la réalité.
A l’extérieur de cette seule réalité (le temple en bois au milieu du lac), il y a l’amour, le mensonge, le meurtre, le vol, l’ennui.
Tout se transforme au fil des saisons, la matière humaine devient peut-être serpent ou poisson,
peu importe, il n’y a qu’une seule matière.

Et le Sisyphe du film apprend à n’être que cette apparence de la vie,
il ne croit plus que le monde lui appartient,
les animaux,
ce monde qui a de bonne plantes pour l’homme et puis de mauvaises.
Malgré ses erreurs, son maître n’a été violent avec lui que lorsqu’il eut la volonté de fuir, d’en finir devant l’absurde, l’amour, le remords,
fuir pour de mauvaises raisons,
fuir avant de connaître l’hiver.

Cette vision peut être occidentale (par rapport au bouddhisme) – tout comme est surréaliste l’écriture effectuée avec la queue d’un chat par le maître.

Ce qui est étourdissant n’est dit qu’avec des images de ce lieu magique.
Enfant il attachait poissons, grenouilles, serpents, avec des pierres et il riait.
En automne, il s’attache une pierre avec une corde et gravit un sommet pour planter une statue là-haut, d’où il apercevra cette tâche de lumière, ce reflet en bas, au loin : le lac de la réalité.
Et il est étourdi de cela : il n’y a pas de destin personnel mais nous assumons le destin de la vie.

Vers Milly (89)

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L’humour des nihilistes

Lors de la visite de je ne sais quel scientifique de renom, le pape Pie XII, l’oeil malin, lui mit la main sur un genou et dit :
« On est bien d’accord ? Avant le BIG BANG c’est vous … après, c’est nous. »

Le nihilisme commence là où cesse la volonté de se tromper soit-même a dit Roland JACCARD.

Et Thomas BERNHARD explique ce que c’est :
« Continuellement, nous corrigeons et nous nous corrigeons nous-même, sans le moindre ménagement …
parce qu’à chaque instant, nous nous apercevons que ce que nous avons accompli (écrit, fait, pensé,…) a été faux.
Mais la correction proprement dite (le suicide), nous la faisons traîner en longueur. »

Sujet de différence entre un philosophe et un nihiliste, ce dernier dira : « au moment où notre bêche heurte le roc de l’injustifiable,
il est inutile de creuser d’avantage. »

Comme là n’est pas le sujet, concluons brièvement sur ces grandes différences :

1) Le nihilisme est comme l’ennui ou la mort : notre horizon indépassable.
2) L’absurde surmonté : C’est justement son absurdité qui donne son piquant à la vie – le reste n’est que manque de curiosité et lâcheté affligeante alors que nous avons tout pouvoir.
3) L’homme révolté : « Je ne puis concevoir qu’une métaphysique sceptique s’allie à une morale du renoncement.
Vivre, c’est faire vivre l’absurde. Il importe de ne pas se jeter à corps perdu dans la mort, mais de mourir irréconcilié, à jamais révolté.
L’homme tragique n’abdique pas. »

Toutefois, et bien que l’on refuse le statut de philosophie au nihilisme,
il est amusant de constater que nihilistes et philosophes subissent une même influence humaine :
celle du caractère de l’individu qui expose l’insurpassable dans un cas et celui qui décrit ses concepts (le sens) dans l’autre.

Ainsi nous placerons dans les nihilistes :
TROTSKY : « De toutes les révolutions, la plus improbable, la plus inattendue et pourtant la seule à s’accomplir, c’est la vieillesse. »
BRAM VAN VELDE : « Quand le pire a été évité, c’est certainement faux quelque part. »
OSCAR WILDE : « Je ne suis pas cynique, j’ai seulement de l’expérience. »
SCHOPENHAUER : « Lorsqu’on croise quelqu’un on ne devrait pas lui dire Monsieur, mais le saluer comme un compagnon de souffrance – et si une partie
de l’humanité geint, l’autre ne se trémousse que pour tromper le mal qui la ronge : l’ennui. »
NIETZSCHE : « l’existence et le monde sont des phénomènes esthétiques. »
KLIMA : « quiconque n’est pas un sceptique absolu est un salaud absolu. »
WOLFSON : « Euthanasie, oui, mais planétaire. »
BAUDELAIRE : « Quoi ! Jamais vous n’avez eu l’envie de vous en aller , rien que pour changer de spectacle ! »
AMIEL : « L’existence est un roman de la désillusion tiré à des millions d’exemplaires. J’ai fait des bulles de savon la moitié de la journée. »
BÖRNE : « La sincérité est la source de tout génie, et les hommes seraient plus intelligents s’ils étaient plus moraux. »
SCHNITZLER : « Que nous soyons amenés à nier l’existence de dieu … voilà qui devrait nous inciter à une certaine réserve … »
FREUD : « Je ne puis être optimiste et je crois que je ne diffère des pessimistes que sur un point :
ce qui est méchant, stupide ou insensé ne peut me décontenancer parce que je l’ai admis dès le départ comme partie intégrante du monde. »
CIORAN : « La mélancolie n’est pas le malheur, mais le sentiment du malheur,
sentiment qui n’a rien à voir avec ce qu’on affronte, puisqu’on l’éprouverait au coeur même du paradis. »

Tous ont décrit le monde nihiliste selon leur caractère :
– Frivole
– Dandy
– Geignard
– Contemplatif
– Héroïque
– Révolté
– Détective des détails

Mais c’est avec une grande délectation que l’on peut observer leur humour … celui-là même qui leur évita la mort immédiate.

Laissons à FREUD le mot de la fin :
« Quand la chute est fatale, le seul recours que nous puissions réclamer de la psychanalyse,
c’est qu’elle nous évite de nous suicider pour de mauvaises raisons. »

Comment métamorphoser nos défaites en victoires ?
Par la jouissance supérieure de l’humour.

Cap-Ferret

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Un an à Imouzer du Kandar – Histoire 26

Voilés.

Un américain et sa compagne sont arrivés en ville.
On a déjà mangé ensemble la veille et là, devant la mosquée d’Imouzer on rencontre Ali le marchand de tapis avec son épouse voilée.
Il s’adresse aux américains : « Alors ! Vous aussi vous êtes fous ? ».
Je prends pour moi la réflexion mais je m’en fiche car j’ai en moi la tristesse d’un décès.
Peut-être aussi, est-ce la seule explication pour qu’un étranger atterrisse ici.
Négligeant l’air offusqué de l’américaine et sans attendre de réponse il me dit avec un grand sourire :
« Il y a longtemps que tu n’es pas passé nous voir – Venez tous ce soir à la maison pour un tajine comme tu les aimes. »
On se regarde : « D’accord et merci ».

Le soir, on survit aux chicanes des ruelles qui découragent,
moi devant, l’Indiana derrière, la lourde porte s’ouvre et les murs lépreux restent neutres.
On mange dans une sorte d’alcôve qui donne sur la cour intérieure de chez Ali.
Les femmes, dont celle d’Ali ont préparé le repas mais ne mangeront pas avec nous.
Il y a le frère d’Ali et un cousin qui travaille avec lui.

L’américaine s’exclame : « Mais c’est un vrai palais ici – c’est magnifique ! ».
« Vous devez être surpris par nos coutumes ? » dit Ali aux américains.
« Que pensez-vous du port du voile, par exemple ».
Pour Ali, être moderne c’est être direct, surtout avec les occidentaux. Faute d’entraînement, il l’est sans nuance.
L’américain qui a beaucoup bourlingué éclate de rire et dit : « oh la la ! Je me méfie trop de moi-même pour vous répondre ! »
Ali apprécie la réponse et rit aussi, puis en me tapant sur l’épaule, s’adressant à l’américaine,
« Un jour je lui ai demandé s’il connaissait l’Amérique … il m’a répondu qu’il suffisait de lire David Goodis ! … il est fana de littérature et de marche sur le Kandar.
Que cherche t-il là-haut ? Manarf * ! Moi je m’intéresse au commerce. »
Son cousin me regarde et amicalement, avant qu’Ali ne parle de tapis, me demande : « Et vous qui vivez parmi nous ? Quelle est votre vision du refus du voile par les occidentaux ? »

Qu’est-ce que cela pouvait me faire ? Ce que pensent les occidentaux !
Bien sûr que je pouvais disserter sur le sujet, donner des explications … sinon même donner un avis sur le futur – futur qui ne pourra se passer des femmes émancipées, au Maroc comme ailleurs.
Et ce lien étroit avec la natalité qui doit passer de mode dans notre monde surpeuplé avec ces femmes à qui on ne laisse qu’un territoire – celui de la maison et donc ses nombreux enfants.
Ce n’est pas ce que je pense : c’est ce que j’imagine du futur. C’est très rare de penser.

Mais j’adore Ali et sa femme et je trouve belle la diversité … alors, comme l’américain je resterai voilé … et chercherai la réalité loin des humains, sur le grand Kandar,
avec ses brindilles qui craquent sous mes pas comme un squelette très ancien dont je serais le préhistorien platonique, mon Kandar, avec sa terrible absence de sérénité, son vide de tranquilité :

« Sachez que j’aime aussi le cinéma.
Sergio Leone adorait les gros plans très serrés … c’est vrai qu’il les réservait plutôt aux hommes, on ne voyait que les yeux.
Et puis il y en a d’autres comme Eric Rohmer qui vient de mourir qui détestent les plans serrés.
C’est vrai qu’il filmait surtout des femmes.
Il voulait voir leurs bras, leurs formes parmi les coussins, leur façon de nous parler avec leur corps.
Et son implacable et si fragile mémoire pelliculaire nous restitue sans faille tel mouvement de leurs cheveux, de leurs mains, de leurs lèvres avec leurs fabuleux sourires.

Lui, Eric Rohmer qui vient de mourir, pensait que le gros plan n’était pas un plus mais une perte – UNE SOUSTRACTION ».

« Et pour répondre à Ali sur le massif du Kandar, figurez-vous que je trouve une nouvelle réponse lors de chacune de mes marches,
et la plus évidente lorsque je vois ce que les hommes font aux hommes depuis toujours, c’est CHAMFORT qui nous le dit (les français ont tout dit) :
«On est plus heureux dans la solitude que dans le monde. Cela ne viendrait-il pas de ce que dans la solitude on pense aux choses, et que dans le monde on est forcé de penser aux hommes ?»

* Manarf : Je ne sais pas.

Fes quartier des tanneurs

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MORNE BRUME

Sous-titre : Ils sont marrants les gens dans la brume _ Pierre rêve du Japon.

C’est l’histoire d’un mec qui disait que l’oasis n’est pas au centre du désert mais à côté, en dehors.
Il nomma son oasis et mit une montagne sacrée en guise de séparation.
La montagne s’appelait le GRAND KANDAR et il disait toujours :
« un jour on s’aperçoit que le désert est l’oasis et l’oasis le désert où l’on vit ».
Alors certains comprenaient à tort qu’une oasis pouvait exister en dehors de soi-même.

C’est l’histoire d’un mec qui aimait les îles _ au centre de la mer _ avalées _ nettoyées.
Depuis longtemps il en avait choisi une, un chapelet, comme des billes dans une main d’enfant.
LE JAPON, comme une oasis qui existerait pour que lui-même existe.
Son espoir sacrifierait tout.

C’est l’histoire d’un mec qui expliquait que tout changeait
remplaçant par le rouge de la rouille des usines, le vert des arbres du passé
et que ce rouge aussi pouvait être beau.
« Certains névrosés ne s’adaptent jamais, ne comprenant pas ce nouveau monde » _ disait-il.

… c’est l’histoire d’un mec lavé des dernières tâches de l’innocence …
… c’est l’histoire d’un mec qui s’adapte à tout …
… c’est l’histoire d’un mec qui attend que ça se passe et qui constate que ça se passe …
… c’est l’histoire d’un mec qui disait : « Enfin ! Tout est prêt pour la mort. » …
… c’est l’histoire d’un mec …

Y a des mecs qui rêvent d’un voyage au pays des Tarahumaras pour raconter à leur retour combien là-bas
il y a des signes de là-bas.

Y a des mecs qui apprennent la danse du Peyotl pour que toutes ces lézardes en eux cèdent enfin.
Le plus comique c’est que certains blancs parmi eux ignorent que le Peyotl n’est pas fait pour les blancs.

Y a des mecs imbus d’eux-même et extrèmement mal conseillés qui finissent par croire que quelque chose va se passer au delà de la porte de l’agonie.

Y a des mecs qui ont tout compris et qui voudraient seulement être payés en retour d’un peu de réalité.

Y a des mecs qui se satisfont de la société _ ils s’inclinent _ deux courbettes _ une marche en rond en comptant leurs pas _
ils se signent devant le feu _ se saluent mutuellement et sortent.

Y a un mec qui a un beau nom.
Il s’appelle Luis Cordoza y Aragon.
Et je l’envie.

Y a des mecs qui écrivent des livres.
Puis ils écrivent à leurs éditeurs qu’ils ont décidé de ne pas les signer.
« Mon nom doit disparaître ».

Y a des mecs qui crient : « Vous pouvez fuir, les belles, la poursuite ne sera pas longue ! ».

Y a des mecs qui ignorent que le soleil est DEVENU rond.

Y a des mecs qui croient à l’invisible main du FADO.

Y a ce mec qui avait raison de ne pas avoir raison.

Y a ce mec qu’on jugeait stupide.
Il répondait : « Mon intérêt pour la vie est celui d’un déchiffreur de charades _ je comprends seulement qu’on parle de moi mais le sens de la phrase m’échappe ».

Y a ce mec qui parlait du rêve et qui ponctuait son poème par
« Mais la lumière revient _ Une étoile, rien qu’une étoile dans la fourrure de la nuit ».

Y a un mec qui disait : « On ne sait jamais si c’est du regret ou du dégoût ».

Y a ce mec qui expliquait son admiration pour un autre :
« Il est la main du chirurgien qui m’ouvrit les yeux et me rendit la vue ».

Y a ce mec qui se rendit compte très tôt qu’il était en fin de compte la personne la plus proche de lui-même.

Y a ce mec à qui on a dit : « Etes-vous satisfait de vous-même ? ».
Il répondit : « NON ! Je suis satisfait ».

Y a un mec qui n’était pas Breton et s’appelait André.
Lui aussi aimait les îles, surtout la Martinique.
Il disait à Pierre : « Et les grandes orgues, c’est la pluie comme elle tombe ici et se parfume,
elle pose ses verres de lampe autour des bambous,
puis tout se déploie au fond du bol à la façon des fleurs japonaises « .

La carte de l’île ressemble à tous ces mecs
comme à nous-même :
La Jambette, Favorite, Anse Latouche, Trou au chat,
Pointe la Rose, Sémaphore de la démarche, Pointe du Diable,
Brin d’amour, Passe du Sans-souci, Espérance,
Piton Crève-coeur, Ile du Loup-garou,
Rivière salée, Rivière blanche, Rivière Lézard, Rivière Madame,
Les Abîmes, Mont de la Plaine,
Morne des pétrifications,
Morne Mirail,
Morne Rouge,
Morne Vert,
Morne Folie,

MORNE BRUME.

Pierre

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Un an à Imouzer du Kandar – Histoire 25

Passé le premier sentiment de beauté facile ou de méditation
on peut trouver la mer ridicule.
Toute cette eau, tout ce bruit, ce remue-ménage !

Ce matin, une dissonance m’a facilité le retour à l’état de veille, un soupçon d’anormalité.

Je m’habille, je descends … et observe avec stupeur que de l’eau a mangé trois marches.
Alors je mets un short, des tennis usagées, sans chaussette et me retrouve dans l’entrée
avec de l’eau jusqu’au mollet.
Kader, derrière moi, regarde quelques objets qui ont pris leur indépendance, il sourit.
Là on n’est plus dans le ridicule, on n’est même plus dans la méditation !
Merci grand Kandar ! Mais que serais-tu sans mon étonnement ?

Dans la rue je vois le petit Rachid, un poète de la réalité, filmer tout cela avec son camescope.
Et mon anniversaire qui est demain ! Ca c’est original !

Merci grand Kandar !
Tu satures et ne peux avaler les derniers orages,
alors Imouzer met sa tenue caramel
et l’eau prend le grand carrefour dans les trois directions à la fois,
le jardin public n’a plus un papier au sol.
Il y a aussi la grosse Mercedes de Belkacem le fou,
maintenant son étrave se prend pour un paquebot,
Marouane et Walid, les deux champions de pétanque attendent la décrue assis sur un muret.

Et les gens ? Ces gens ! Pourquoi je les aime ?
Et bien ils vont et viennent comme d’habitude,
…,
même pas, je crois qu’ils se promènent … comme moi, quoi !

Tiens ! Je vais me faire un cadeau : je monte à Kalâa Kabira,
et là, derrière un mur rose, j’admirerai comme une Atlantide sortie de l’eau, toute la ville en bas.

Tiens ! Il y a déjà quelqu’un !

Bab el Rih à Taza

Site de RACHID : [youtube http://www.youtube.com/watch?v=EBunVcgckQU&hl=fr_FR&fs=1&]

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Savoir lire l’art moderne

Refuser les « artistes » qui réclament de vous du goût
et rencontrer ceux qui réclament de vous une émotion esthétique.

Il en est ainsi en art :
soit il domine par la séduction,
soit il domine par la soumission.

Sinon, à quoi bon ?
A quoi bon tourner d’une main diurne ou d’une main nocturne
les pages de ces gens, on dit aussi poètes,
qui ont orné les murs nus de ce triste monde ?

Ceux là se sont soumis à vous,
ils vous ont proposé leur vision particulière du tout
et plutôt que d’adapter à vous-même ce qu’ils ont écrit ou peint,
adaptez-vous à ce qu’exprime l’auteur.

C’est ainsi que l’art moderne doit être lu.
Sa dénationalisation vous apparaîtra,
art de tous les arts – complexité spontanée.

Guidel (Morbihan)

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Un an à Imouzer du Kandar – Histoire 24

Temps maussade, nuages gris,
départ de Fès, le taxi a une étoile sur le capot et 640.000 au compteur,
en route vers Imouzer, mon monde à moi,
mon monde au milieu des choses et du monde,
du début à la fin une musique lancinante à la radio,
deux personnes qui se parlent d’une colline à l’autre,
et puis sur le bord de la route des drapeaux marocains qui me rassurent,
je suis bien ici et pas ailleurs,
dans un virage, ce type seul d’une tristesse abolue,
quand on souffre vraiment on souffre seul,
quand nous avons passé une nuit blanche plus personne ne nous aime, disait le poète,
des virages, des virages,
d’incarnation en incarnation,
grain de poussière que la vie soulève pour le laisser retomber ensuite,
quel bonheur que d’avoir l’instinct de son inimportance,
je regarde le chauffeur,
quelles mains tend-il et vers quel univers ?

Une des malédictions de la pensée est de voir alors que l’on pense,
et je vois cet énorme nuage bleu qui je le devine cache le grand Kandar,
bleu ? ce genre de nuage qui fait douter une fraction de mon cerveau,
et je sens un coeur tout proche qui redémarre.

Alors, je me réveille.

Azrou vue de la route d’Aïn Leuh

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Les jeunes pourraient se plaindre

A toutes les époques
les jeunes se sont plaints de la génération précédente
qu’ils trouvaient souvent désuète et sans force.

Aujourd’hui,
à croire que le bilan ne concerne plus la génération précédente
mais un état général des choses
qui nous vient d’une longue maturation
des centaines de générations précédentes.

Les jeunes pourraient se plaindre.

Sous cette action destructrice
le monde ne leut apporte
aucune assurance dans le domaine religieux,
aucun soutien dans le domaine moral,
aucune paix dans le domaine politique,
aucun espoir dans la science qui, ils le devinent, suivra un axe barbare.

Le XXème siècle a conclu la décomposition de toutes les valeurs
pour offrir le monde à tous les agités et les amoraux.

Les jeunes ne se plaignent pas.
J’espère qu’ils cherchent.

Musicien argentin Bordeaux RG

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Ecrivez !

Vagabondez de feuilles en feuilles,
décrivez le spectacle à travers la brume,
extirpez de vos songes les images du front du quotidien,
dîtes la banalité avec étrangeté
et la simplicité avec de multiples détours,
dorez d’un soleil artificiel les recoins déjà morts.

Ainsi, dansez,
bercez vous et bercez nous
des phrases fluides par lesquelles vous vous décrirez.

Bordeaux Mime sur les quais

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Faire face à la normalité des choses

De façon incompréhensible,
lorsque notre âme est en éveil,
l’informe et l’inachevé se révèlent être d’une incomparable beauté.

Ainsi, tout ce qui est vu, est vu comme un rêve arrêté
car la conscience est grande que tout ce qui est statique
échappe à la réalité dynamique du monde, à sa violence,
– un tableau – une photographie – une pensée qui s’arrête et s’exprime – un paysage …

Pourquoi est-ce beau alors qu’il ne s’agit que de la notation nette d’une impression fausse ?
Peut-être n’est-ce que l’incapacité à faire face à la normalité des choses.

Bellevue – Route immergée du Groix

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Art et éternité

Lorsqu’on aime l’avenir,
lorsqu’on aime le principe même de l’avenir,
comment ne pas aimer l’éternité qui nous est interdite ?

La science guide notre volonté de comprendre le monde
pour nous en servir.

L’art est l’indice du passage de l’homme dans le monde,
le résumé de la véritable expérience émotionnelle qu’il en a,
suivi de toutes les pensées provoquées par ces émotions.

C’est par lui que l’homme vit le plus réellement sur terre,
qu’il décrit ce qu’il est, dans l’éternité.

Et en ces temps de pessimisme concernant la survie de l’espèce,
si nous devions trouver une seule raison d’exister,
quelle autre justification pourrions-nous mettre en avant
que l’importance de cette trace ?

Cadaques – Statue de Salvador Dali

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Un an à Imouzer du Kandar – Histoire 22

Ah, le Kandar !
Etonnant d’aimer ce que personne n’aime.
Ailleurs on ne sait pas qu’il existe
et ici il n’apporte que la grêle.

Je suis préparé à partir un jour
car je connais l’avenir
sans connaître le détail qui me fera partir un jour.

Je connais mon avenir lorsqu’un à Imouzer
me demandera si je me souviendrai d’eux.

Je connais mon avenir dans cet aérogare porte de l’occident,
architecture évidemment étonnante,
comme il existera dans un futur des portes pour l’univers inhumain.

Je connais ma réponse
et elle concernera chaque atome de ce monde oublié :
« Je me souviendrai de vous comme d’un bras perdu ».

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Collection

Au nom de ma collection des bizarreries de la vie, j’ajouterai :

– Qu’il y a des jours où il est impossible d’être malheureux
– Que l’on peut écrire en oubliant l’avenir … l’avenir où, en se relisant, tous les pantins sont crevés et laissent déborder leur paille
– Qu’avant de faire toute chose, nous ne nous demandions pas s’il n’est pas préférable d’observer le chat
– Que nous n’ayons pas tous choisi d’être un marin qui rentre dans un bar à l’autre bout du monde

Mexicain dans Sushi bordelais

Mexicain dans Sushi bordelais

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La monotonie de soi-même

Il y a des gens qui, lorsqu’ils se réveillent le matin, ressentent que leur droit de promenade est terminé.
Ils retournent à leur cellule, refusant le fait du vivant : aujourd’hui est différent d’hier.
Les animaux, eux, ne croient qu’en leurs sensations et ne sont pas dupes
… sauf le chien peut-être qui s’est perverti dans la symbiose et qui s’est perdu.

Il y a des gens qui voient chaque visage comme celui qu’ils ont vu la veille.
Ils regardent leur chat qui redécouvre prudemment la même petite pelouse
et concluent que les animaux sont limités,
qu’ils n’ont pas la conscience que c’est la même pelouse.

Toujours ils seront les enfants de leurs parents,
toujours ils seront ceux qui ont raté ou réussi,
toujours ils seront esclaves de ce qui les rassure.

Il y a des gens qui détestent la vie par timidité
et refusent la mort avec fascination.
Il y a des gens, et pas qu’au Tibet, qui pensent que la plus grande vérité est le plus grand oubli.

Il y a des gens qui étouffent dans leur vie et savent que l’air leur manquera toujours,
il y a des gens qui ont du bronze dans leurs veines et qui, entourés d’écritures étranges et incompréhensibles,
posent sur un socle de pierre dans leur hangar familier,

c’est ça,
c’est la monotonie de soi-même.

Femme de Foix (Ariège) dans la caserne Niel à Bordeaux

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Un an à Imouzer du Kandar – Histoire 21

Un ami qui vient me voir de France,
c’est la première fois
et cela mérite un bon tajine chez Kader.

Prends le tajine de coings c’est sa spécialité.
Aïcha !
Je te présente la vraie patrone de ces lieux.
Aïcha, explique à mon ami comment tu fais le tajine aux coings.

Tu rinces la viande – tu la coupes en morceaux de 120 g chacun –
tu la fais revenir avec l’huile, le poivre, le gingembre, l’oignon râpé, le bâtonnet de cannelle, sur feu moyen, 5 minutes en remuant de temps en temps.
Tu la couvres à moitié d’eau et jusqu’à ébullition.
Tu ajoutes la pincée de sel et tu laisses cuire modéré à couvert.
Tu remues de temps en temps.
Avant la fin de la cuisson de la viande, tu ajoutes la cannelle en poudre et le sucre – tu remues et tu laisses terminer la cuisson.
Lorsque la viande est bien cuite, tu la retires – tu enlèves le bâton de cannelle – tu ajoutes les coings coupés en deux et épépinés.
Tu surveilles la cuisson, ne les laisses pas trop cuire. Quand les coings sont cuits, tu les retires de la marmite et tu les laisses égoutter.
Quelques instants avant de servir, tu fais chauffer le beurre dans une poêle – tu ajoutes le miel et tu fais caraméliser dans ce mélange les morceaux de coings.
Tu réchauffes la viande dans sa sauce et tu la mets dans un plat de service arrosé avec la sauce bien onctueuse, et puis tu mets les morceaux de coings dessus.
Et puis tu manges ! dit Aïcha avec un grand sourire.

Et bien dis donc ! J’ai faim !
Quand Aïcha est repartie vers la cuisine il ajoute : « Ils ont l’air vachement sympa ici ».

Oui.
Kader ! Tu nous mets un petit Beni M’tir sous la table.

C’est quoi ? C’est le vin ?

Oui.

Pourquoi sous la table ?

Kader ne vend pas de vin. Il garde le mien.
On reste discrets, on le met sous la table pour montrer qu’il ne fait pas de business avec des choses impures.

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Le repas est fini.
Je dis à mon ami que cet après-midi il a quartier libre car je vais à Fez voir quelqu’un.
Si tu veux rigoler, parle avec eux et puis va à BAB ER-RIH, c’est de là qu’on voit le mieux le Kandar.
Et puis fait un effort, parle un peu arabe, et puis prononce bien : BAB ERhRIrrH.

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Le soir devant une pastilla mon ami me raconte toutes les anecdotes de ses rencontres du jour.
Il avait les larmes à l’oeil – de rire et d’émotions.

En buvant la nana (thé à la menthe), je lui demande s’il est allé à BAB ER-RIH, la porte du vent, admirer le Kandar.

Ah ! Alors là ça a été dur !
Je demande à une fillette, elle s’est enfuie en courant !
Je demande à une femme, elle ne m’a même pas regardé.
J’ai trouvé un homme, je lui demande comme tu m’as expliqué
et il me répond en parfait français : « Quand on parle arabe, on parle bien ».

Alors il me dit en arabe en prononçant BAB ER-RIH une direction à droite
et puis en disant la même chose une direction à gauche.
Et il me dit, « tu vois, si on ne prononce pas bien, on ne comprend pas ! ».
Alors je lui ai dit que c’est de là qu’on voyait le Kandar
et il m’a amené à travers toutes ces ruelles magnifiques, en rigolant tout le chemin, jusqu’aux remparts roses.

TAZA Bab el rih

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La lisière de l’enfance

Lorsque j’étais petit enfant
dans une ville blanche, immense et étrangère,
ma mère était craintive de tout.

Ne pas s’éloigner de l’immeuble,
ne pas aller dans le quartier du port,
ne pas se baigner dans les trois heures suivant le repas…

Lorsque nous allions en ville, étrangement,
elle me disait :
« Traversons dans les clous, là il n’y a aucun danger ».

Je ne comprenais pas du tout comment ces simples clous de cuivre plantés au sol
pouvaient nous protéger des voitures.
Toutefois, ces passages cloutés étaient la seule clairière au sein d’une sombre et dangereuse forêt.

Ne plus croire à rien
me serait certainement insupportable
sans les souvenirs de ce passé là.

L’innocence se satisfait de l’ignorance.
Non ! Je n’ai pas posé de question
en attrapant instinctivement la lisière de l’enfance.

Que peut vouloir de plus quelqu’un qui doit mourir un jour
et qui, guidé par la main de sa mère,
ne le sait pas encore ?

Bordeaux Jardin public

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Cohérence des rêves

Rien ne m’agace plus que l’incohérence de certains
qui rêvent d’être riches
ou qui, seuls sous leurs draps, rêvent d’avoir le courage d’aborder leur voisine de palier.

A ceux là je dis que lorsque le rêve est possible et réalisable, la déception véritable est elle aussi possible.
A ceux là, je dis que cela n’est pas la fonction du rêve.

Aimez les paysages impossibles,
les déserts où vous n’irez jamais,
les gloires historiques des siècles passés
si c’est la gloire qui vous convient,

reposez-vous,
vivez enfin en rêvant sans contrainte ce qui n’existe pas,
et éventuellement, réveillez-vous en imaginant ce qui peut exister pour le réaliser,
mais cela c’est du travail, ça consomme des ressources, ça crée souvent de l’esclavage ou pire.

Ainsi, ce carrefour, en bas de chez moi,
où la foule active passe sans que rien n’existe vraiment,
foule ne montrant que l’aspect fluctuant d’une foule, d’hier et de demain,
ce carrefour, je le rêve et le vois vide d’animation et rempli des couleurs que j’aime,
des couleurs du Sud.

Tiens ! Cela me rappelle Collioure
où je n’avais rien à faire
et où la journée était tellement belle
que je n’avais même plus la force de rêver.

Certains sont plus actifs :
Tirer dans la foule, repeindre les maisons …

Collioure au petit matin

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Un an à Imouzer du Kandar – Histoire 20

2 thés à la menthe chez Kader.

Youssef (Joseph) :
… ji descendais le Cours de la Marne vers la gare, y avait tous li rades chauds,
les culs ! Mamaaaan !
ti m’écoutes ?
… on buvait une pitite bouteille d’Argentin dans la rue … celle qui monte de la place du parlement,
… après on allait à Bacalan,
ti connais ?
… aie aie aie ! La cabesa !
… et on finissait à la paillote vaudou à la Bastide …

Maintenant, ji suis rentré, ji bois plus.

Moi (Qui ?) :
Tu connais Bordeaux mieux que moi
et finalement, je connais mieux le Kandar.

Bordeaux fête du vin – 2008

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Un an à Imouzer du Kandar – Histoire 19

Quelle pluie !
Mais la pluie ne freine que ceux qui s’accordent des projets.

Les pieds boueux et la tête encore dans les nuages que j’ai traversés par les crêtes du Kandar,
je lis un message qui a suivi son chemin télématique non prédictible et qui m’attend ici à Imouzer.

Ce message me demande si je vais bien et je sais immédiatement que je n’y répondrai pas
car je ne saurais répondre à des mots devenus incompréhensibles.

Pourtant, je pourrais répondre à un questionnement plus problématique ou plus précis, ou même plus intime,
je réponds d’ailleurs tous les jours à un bombardement de salamalecs qui cherchent par rebonds étonnants
à savoir – certainement – si je vais bien, selon le bonheur d’ici.

NON je ne répondrai pas.

Ce matin, le berger là-bas, qui m’a vu partir m’a demandé si je me sentais libre.
Je lui ai répondu que je chanterai tous les jours la liberté,
jusqu’à ce que la mort me fasse quitter ce poulailler terrestre
où, suprême grâce, je jouis de plusieurs perchoirs.

Volubilis (Maroc)

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Dans l’argile de nos esprits

Lorsque l’on parvient à inventer un bilan de nos ressentis sur le spectacle du monde,
dans l’argile de nos esprits – fiction structurelle et bariolée de toute réalité,
et certainement génétique,
cheminement complexe … et grandiose si on y pense,
on est amené à comprendre le sens profond de la vacuité
pour finalement exprimer notre vrai tempérament :
nous ne pouvons croire qu’à des illusions,
comme l’or qui court à profusion sur la mer.

Mimizan (40) L’or sur la mer

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Vous qui entrez ici …

A Bordeaux les mascarons accueillent le visiteur au fronton des maisons.
Ils naissent au XVIIème et finissent en 1930 par le plus ésotérique.

Hector Césarin (son nom d’artiste est Loubatié) réalise pour sa propre maison Art Déco le chef d’oeuvre le plus discret de l’architecture de sa ville.

L’architecte utilise la géométrie et l’intègre dans l’univers pour une cible androgyne.
Sur un visage féminin en forme de planète, l’humain disparaît derrière un masque d’équilibre et laisse place aux formes du futur.
Les deux pointes de son compas protègent l’artiste et piquent les étoiles dont le tracé justifie ces formes.

Inutile d’écrire un livre Hector … et merci.

Mascaron de la maison de l’architecte bordelais Loubatié

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Un an à Imouzer du Kandar – Histoire 18

ELLE : J’ai vu un hôpital à Hiroshima.
LUI : Non ! Tu n’as rien vu à Hiroshima. Continuer la lecture

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Liberté, égalité, fraternité

Une question me taraude : les mots n’ont-ils aucune puissance ?
A moins que les idées de l’homme ne soient que de profonds rêves ?
Continuer la lecture

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Comprendre est un voyage

Comprendre : Etymologiquement « Prendre en soi ».
Ce n’est pas satisfaisant comme explication, et surtout, cela ne donne pas envie – car qui désire être envahi ?

Ici, à Imouzer du Kandar, chèrement acquise, toute ma liberté me permet de m’adonner sans risque à ce jeu qu’est COMPRENDRE.

Sur les chemins de l’arbitraire, de l’effort, de la non lucidité et du désaccord, comprendre est avant tout une aventure pour le non casanier de l’esprit.
Comprendre est un voyage au pays des autres pour que parfois cela devienne le pays de soi-même.
Et ce voyage difficile, lavé de tous les pièges que sont l’amour, l’influence et la force, apporte le plaisir du chemin parcouru et la vision de ces nouveaux paysages.

Le sujet de cette compréhension, finalement, n’a aucune importance.

2 frères à Meknes

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Il serait convenable …

Il serait convenable

que chacun ait sa représentation du monde
mais que son intelligence la réfute

que chacun éprouve des désirs
mais toute raison d’en éprouver lui serait refusée

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On n’entend jamais …

Pour situer l’abîme qui éloigne l’homme de l’univers, il suffit de constater le manque de précision de ses définitions de lui-même :

– c’est un grand homme
– il est très intelligent
– il est bon
– il est mauvais

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La horde sauvage

Novembre … les fêtes approchent dangereusement.
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Penser, c’est encore agir.

Pour ceux qui souffrent d’être impliqués :

Penser jusqu’à … ne pas tenter de comprendre … Pourquoi pas ?

Ou alors ne pas analyser … Pourquoi pas ?

Juste contempler ses émotions comme on regarde un paysage.

Pourquoi pas ?

Car qui sommes-nous pour nous-même ?
Rien d’autre que l’une de nos sensations.

Nos métamorphoses

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