ETERNEL RETOUR DU BONHEUR
Cachée par une belle nappe Sud Américaine, la table attire tous les convives. Ils ne se connaissent pas tous … mais, par la force de ces coins de paradis disséminés sur la planète, ils admettent inconsciemment que c’est une bonne soirée.
L’hôtesse s’appelle Indiana car sa mère Bolivienne adorait les romans de Georges Sand.
Elle présente aux autres le Parisien, son voisin, qui est venu à pied armé d’une lampe torche et d’une grande bouteille.
Elle explique à tous que souvent il lui a demandé si elle s’appelait vraiment Indiana car cela le faisait rêver. Et il tournait tellement autour du pot, lui disant qu’elle était tellement et TOTALEMENT Indiana que le doute était permis. Le doute de quoi ? Personne ne savait … et personne ne demanda car tous étions d’accord avec lui.
Et puis il y a la vieille qui vit seule à Combenègre. Lorsqu’elle toussote la bouche pleine, les personnes distraites imaginent que les excuses qui suivent sont feintes car elle s’excuse elle-même : « mon corps ne répond plus de rien – comme je deviens pittoresque ! ».
Et elle ponctue avec un humour de parti pris : « j’ai réussi à avaler un morceau ».
La cohésion du groupe est immédiatement assurée. Par accord tacite personne ne se permettra la moindre blague envers elle. Le respect pour la lucidité installa merveilleusement la vieille sur un piédestal afin qu’elle seule fut juge de la finesse des propos.
En sa présence, on se surprend même à pratiquer la philosophie contrôlée où la jeunesse doit se laver le regard des escroqueries idéalistes.
Seul le Parisien me glisse à l’oreille que le jour où la vieille nous quittera, la porte du caveau claquera certainement et nous sursauterons.
Elle en paraîtra impolie une dernière fois.
Les suisses sont amis d’Indiana. Ils aiment ce coin du Périgord plus que tout et y sont très actifs. Ils se lancent dans une longue explication sur leurs déboires dans la restauration du patrimoine permettant ainsi aux affamés de rattraper le temps perdu.
Gislaine, le prof de math de passage, fait croire au petit Léo qu’elle éclaire les étoiles avec sa lampe électrique.
Le faisceau de lumière attrape au passage un insecte en plein vol. C’en est fini pour lui, il est immédiatement gobé par la chauve-souris nichant sous le toit.
Gislaine lâche la lampe et l’assistance peut ressentir comme une douleur.
« Décidément ce monde trompe toutes nos attentes, est-il possible de faire quelque chose d’insignifiant ? » dit le Suisse.
Et moi, lui répondant : « Est-il possible d’être neutre ? ».
L’immense tilleul dans la cour se contente d’être là.
Pour ne pas être impressionné par sa présence, il suffit de ne pas y penser.
Pourtant, Indiana exprime son inquiétude et souligne qu’on lui a conseillé de le soigner car sa sève coule des feuilles.
Un insecte dévoré lui faisant oublier les étoiles … un arbre qui pleure … cela mérite réflexion pour Léo qui s’assoit dans un coin et que le monde oublie.
« je longeais le chemin avec deux amis,
c’est alors que le soleil se coucha,
le ciel devint tout à coup rouge couleur de sang,
je m’arrêtai,
m’adossai, épuisé à mort contre une barrière.
Le fjiord d’un noir bleuté et la ville étaient inondés de sang
et ravagés par des langues de feu.
Mes amis poursuivirent leur chemin,
tandis que je tremblais encore d’angoisse,
et je sentis que la nature était traversée par un long cri infini. »
Au bout de la table le peintre anglais, gentiment buveur de vin rouge, nous fit part de l’info du jour : le tableau LE CRI d’Edvard MUNCH a été volé.
Il a hérité de ses racines un fort esprit de synthèse. Comme on lui a barré toutes les tentatives de parler cul, il embraye : « Notre époque est une époque de discrétion, de dressage. Il est aussi demandé de mourir comme on a vécu : un morceau de gaze serré entre les dents. Le bon mourant feint de ne pas mourir, comme un golden boy de l’agonie … les autres sont des banqueroutiers de la mort. »
Saisissant cette impulsion au vol, je demande à ma soeur ce qu’elle pense du livre que je lui est prêté (rien ne m’agace plus que ces gens qui ne me disent pas ce qu’ils pensent du livre que je leur ai prêté).
Elle répond qu’il n’y a pas d’espoir. Pas de désespoir … aucun espoir ajouta t-elle pour préciser sa pensée.
Je lui dis que je comprends l’auteur, un nommé Vallero : écrire quand on n’a pas atteint le degré zéro du dégoût devrait être passible d’une peine de prison. Et pour ceux qui rêvent de laisser une trace du récit de leurs exploits, je m’enflamme : « ce sera la chaise électrique ».
Au fait ! me dit-elle : « J’ai eu Bindhu au téléphone ».
« La Bindhu ? Annick ! Celle qui descendit du train à Bombay ? … Alors ? »
« Alors elle est malheureuse ».
Que dire aujourd’hui sur le malheur ? Annick ! Sous ce tilleul ! Si tu étais là on te serrerait dans nos bras … mais comment mentir, ni même relativiser : LA VIEILLE NOUS SURVEILLE … et elle comprend tout. Seuls les vieux comprennent, car ils ont payé.
Heureux, malheureux, ce sont des moments exceptionnels qu’il ne faut pas faire durer.
Sinon, on va te raconter nos malheurs, notre mal au dos, notre boulot et notre mauvais dodo.
Et bien NON ! Je ne te raconte rien du tout et je te dis : « VIENS NOUS VOIR CET ETE EN DORDOGNE » avec qui tu sais ou qui tu veux.
DOUDOU, une copine du parisien est restée dans sa chambre car elle n’a pas supporté quelque chose.
Le foie gras du midi ? Le magret d’hier soir ? Le vin du pays … Il hurle à travers la cour jusqu’à sa maison : « On est avec toi Doudou ! ». Il supposa que dans son malheur, elle avait souri.
La soirée est terminée, on ne se dit aucune platitude, chacun sait ce qu’il a à faire et rentre chez lui.
Le lendemain, la forêt, le marché, les châteaux, nous aideront c’est certain … et pour nous l’idée toute neuve que Bindhu quitterait son île cet été – qu’elle viendrait nous voir…
comme l’éternel retour du bonheur.
La Dordogne de mon enfance je l’ai vu se peupler de Hollandais, d’Anglais, d’ailleurs la maison de mon grand-père a été vendue à une famille anglaise qui a eu le coup de foudre pour cette ancienne bâtisse. Elle se trouvait au bord d’un étang où j’allais pêcher la gardèche et le gardon à côté de mon père qui lui pêché à la mouche la truite et la perche. Maintenant adulte moi aussi j’ai envie de crier, on a vendu mon enfance.
Ah Lutin ! Ne soyez surtout pas triste ! Le Périgord est toujours magnifique et vous au moins, vous connaissez les coupables !
Moi, je suis allé revoir mon école maternelle/primaire à 2000 kms de là, sous le préhau en arcades nous jouions avec des noyaux d’abricots.
Et bien figurez-vous qu’ils ont tout rapetissé ! … qui ? Des extra-terrestres certainement ?
La cour est devenue minuscule, l’immense escalier peut maintenant être enjambé en 2 foulées… en plus, me prenant pour un fou, ils m’ont expliqué que rien n’avait changé ici depuis les années 1950.
Pourquoi crier ? Et votre cri, à qui peut-il être destiné ?