ÉTERNEL RETOUR DE LA SOLITUDE
Je suis fou de revenir sur mes pas – les poumons en feu et les branches qui me punissent et me mettent en sang. Et cette folle terreur qui envahie mon sang et mon corps !
Geoffroy est jeune, il a du se sauver – Dieu ! Faites qu’il se soit sauvé !
Ah … comme je n’ai pas confiance en VOUS !
Voici la crête par où j’ai fui et en bas cette clairière déjà maudite où ces bandits nous ont attaqués.
Je t’aperçois, étendu, ta viole à droite, ta vie à coup sûr disparue et les vauriens s’en allant et riant.
La vie ne vaut-elle donc rien ?
Ils t’ont tué alors que tu ne possèdes rien – cela n’est pas la dureté de vivre – cela est l’insupportable – la tragique horreur.
Est-ce ta viole, Geoffroy ?
Ta musique l’autre soir sur la place où est l’halle à Belvès ?
Qui me fit faire ce voyage !
Et me fit ce mauvais don de courage – par ces temps de désespoir ?
Et ta foi ! Tu m’as dit : « c’est la sécheresse, faisons ce voyage et tu verras le miracle – tu verras la preuve ! ».
Mon pauvre ami, tu l’as fait pour moi mais surtout pour LUI. IL l’a certainement voulu ! SON miracle à la Madelaine, je n’y crois pas.
Le seigneur du Roc ne me reçoit pas.
On m’a dit au château : « Si des fous traversent les forêts, les pillards les tuent ».
Des paysans de Tursac ont bien voulu s’occuper de Geoffroy et je leur montre l’endroit dans la clairière.
Jamais je n’oublierai cet endroit…
De retour à la Madelaine, je passe le levis au début du village et me cogne en surplomb de la Vézère à la chapelle qui est fermée.
Je repense à toi et suis las de vivre et d’errer.
Une enfant en haillon me montre l’endroit dans le rocher. L’endroit où l’eau suinte de la pierre alors qu’il n’a pas plu depuis deux mois.
Mon mépris et ma honte se mélangent – mes genoux ont mal sous ma prière – mes yeux et mon esprit fixent cette lumière jusqu’à l’aveuglement et la folie.
Il voit toutes les âmes, il tue celui qui l’aime et me laisse vivre, moi, l’homme sans foi – et contempler le miracle… pourquoi ?
Tard le soir, je me détourne enfin du rocher et contemple les arbres immenses, la rivière et les falaises au loin.
Plus que l’évidente beauté de tout cela, c’est la perfection, ou plutôt l’exactitude de ce paysage qui me fait LUI dire : « TU es l’incompréhensible ».
Immédiatement, j’entrevois lui avoir dit TU.
Cette proximité, ce détail, fut notre séparation, l’éternel retour de la solitude.