Réflexions sur le film « DANS LA VILLE BLANCHE »


Réalisation de Alain TANNER (8ème film).
Année : 1982
Scénario et dialogue de Alain TANNER
Musique de Jean-Luc BARBIER
Directeur de la photographie Acacio de ALMEIDA
Montage Lauren UHLER
Production Paolo BRANCO (Metro Filmes) – Alain TANNER (Filmograph)

Film en couleur avec
Bruno GANZ (Paul)
Teresa MADRUGA (Rosa)
Julia VONDERLINN (Elisa)
Lidia FRANCO (la barmaid)
Francisco BAIAO (Le voleur au couteau)
José de CARVALHO (Le patron)
Victor COSTA (le garçon du bar)
Pedro ELFE (l’ami de la taverne)
Joana VICENTE (la dame dans le train)

Festival de New York 1982
Meilleur film étranger aux Goya Madrid 1982
Compétition officielle Festival de Berlin 1983
César du meilleur film francophone Paris 1983

REFLEXIONS SUR : DANS LA VILLE BLANCHE

EN BREF :

Réalisateur : Alain Tanner est un cinéaste qui compte sur vous et votre implication.
Son cinéma est engagé politiquement (social) et moral.

Classement : Film existentiel.
Dans l’oeuvre de Tanner, ce film est situé à part, ce pourrait être un hommage à Antonioni.

Sujets : la fuite, le moi, le regard sur le monde.

Les personnages :
Paul : c’est un marin qui possède le monde et dont le bateau tombe en panne à Lisbonne.
Rosa : c’est une fille qui sert au bar de l’hôtel. Elle a des réponses toutes simples sur la vie.
Elisa : c’est la femme de Paul. Elle est en Suisse, elle aime Paul. Elle sera le témoin compréhensif et extérieur de la chute de Paul.

Les acteurs :
On imagine mal un autre acteur que Bruno GANZ (tendresse, détachement, force inutile) pour vivre le personnage de Paul. Alain TANNER dit qu’il n’aurait pas réalisé ce film sans Bruno GANZ.
Teresa MADRUGA est la vie, ce que Paul n’a jamais été.

Bruno GANZ : né en 1941 à Zurich en Suisse, il part jeune en Allemagne où il étudie le théâtre et où à Berlin, il joue les classiques (Shakespeare).
Ensuite, sous la Direction d’Eric Rohmer il joue dans son premier rôle au cinéma : la marquise d’O. C’est l’Ami américain (Wim Venders) qui lui offre son premier grand rôle .
Puis vinrent de nombreux films comme :
Nosferatu fantôme de la nuit (Werner Herzog).
Ces garçons qui venaient du Brésil (Franklin J.Schaffner).
Une femme italienne (Giuseppe Bertolucci).
Le retour à la bien aimée (Jean-François Adam).
La dame aux camélias (Mauro Bolognini).
Les ailes du désir et Si loin si proche (Wim Venders).
L’éternité et un jour (Théo Angelopoulos) palme d’or à Cannes.
Un crime dans la tête (Jonathan Demme).
La chute (Olivier Hirschbiegel).

Teresa MADRUGA : Née en 1953 au Portugal, elle joue dans quelques films :
Le fataliste (Joao Botelho).
Odete (Joao Pedro Rodrigues)
Silvestre (Joao Cesar Monteiro)
Chaussures noires (Joao Canijo)
Pereira Pretend (Roberto Faenza)
Le jour du désespoir (Manoel de Oliveira).

LE SCENARIO :
Le scénario est d’Alain TANNER. On peut imaginer, pour ce film exceptionnel dans son oeuvre, qu’il s’est imposé à lui-même une aventure risquée : ne pas parler, ne pas expliquer, toucher le monde avec le regard. La réussite est totale.

L’HISTOIRE PAR QUELQUES POINTS CLES :

Un homme se bat avec le coeur d’acier d’un navire en panne. Rien à faire, il faut débarquer et attendre les pièces de rechange à Lisbonne.
La ville blanche est lumineuse de soleil, d’histoire et de vie. Ses caractères ne sont pas imprimés, ils sont gravés sur les murs des maisons et dans l’humeur de ses habitants.
Tout le contraire de la Suisse, le pays de Paul. Il va tenter d’appréhender cette lumière, cette liberté.
Lui qui suivait sa route pré-définie de part le monde, il se jette au hasard dans les méandres de la ville blanche et dans les lacis de nouvelles expériences qu’il appelle à lui.
Il ne sait pas encore ce qu’il cherche dans cette fuite.

Rosa, la serveuse du bar de l’hôtel, va lui montrer le chemin. Dans un premier temps il va la suivre, imaginant que la passion amoureuse était ce qu’il cherchait. Puis, il suivra son propre chemin, ira beaucoup plus loin, jusqu’à la folie.

Le témoin de sa quête sera sa femme à qui il envoie des cassettes video de Lisbonne, montrant seulement la réalité et aucun sens.

SCENES REMARQUABLES :

Scène 1 : L’horloge tourne à l’envers

Paul : Votre montre là, elle marche à l’envers.
Rosa : Non elle marche juste, c’est le monde qui marche à l’envers.
Paul : Ah bon ! Intéressant !
Paul : On ferait marcher toutes les montres à l’envers, le monde irait à l’endroit.
Rosa : Oui.
Rosa : Vous êtes fou aussi ?
Paul : Je ne sais pas.

Scène 2 : Une minute et vingt secondes
Le rideau de velours bordeaux virevolte par la force du vent.
C’est par la poésie de ce type de scène que le film est réussi.
Cela fait penser au temps qui passe, ce temps qui permet de se questionner sur la disparition de Rosa, ce temps qui fait ressentir ces chaleurs d’été.
Paul n’est pas en vacances … il ne fait rien qu’observer le monde sans raison et sans but.

Photos du film :

QUELQUES REFERENCES
Alain TANNER est un cinéaste très personnel et plutôt que de chercher des références, faisons des comparaisons.
Dans ce film, il abandonne ses marques habituelles (pédagogique, revendications de gauche, montrer le peuple) pour réaliser ce film unique que l’on ne peut comparer qu’au cinéma d’ANTONIONI.

Ce n’est donc pas dans les références de détails qu’il est intéressant d’analyser DANS LA VILLE BLANCHE mais dans ce qui est personnel dans la vision de TANNER.
Il est impressionnant d’observer ce réalisateur sortant de ses codes, prenant ainsi des risques énormes pour aboutir à tout faire remonter de la matière.

Ainsi, on pense de façon évidente au chef d’oeuvre d’ANTONIONI « PROFESSION REPORTER » où le personnage principal fuit sa propre réalité en prenant l’identité de quelqu’un d’autre et en vivant la vie de l’autre.
ANTONIONI prévient : « On n’échappe jamais à soi-même ».

TANNER reprend ce point de départ, mais la fuite est une fuite immobile. Paul ne devient PERSONNE d’autre, il devient LA VILLE BLANCHE.
Le lieu l’hypnotise, il erre et se regarde en regardant les murs, les pavés, les habitants de ce Sud qu’il ignorait, ce Sud qui, il le sent, est la réalité invisible ailleurs.
Ainsi, on peut comparer deux destins : le Reporter d’ANTONIONI qui fuit de façon lucide (sachant qu’il est toujours lui) jusqu’à la mort et le marin de TANNER qui disparaît réellement dans la ville jusqu’à la folie.

Tout en ignorant si Alain TANNER est un lecteur de PESSOA, on peut toutefois souligner le parallèle entre son personnage (Paul) et l’écrivain dont le nom en français veut dire PERSONNE.
Il s’agit d’une même description de la solitude et du fait que Lisbonne représente l’univers accessible. Pour PESSOA, il ne s’agissait d’ailleurs que de son quartier.

Une influence sur la fabrication du film est à rechercher chez Jean-Luc GODARD qui pense que le scénario doit être écrit après le film. Ainsi le film a été réalisé seulement avec un fil conducteur et est vu comme un rêve éveillé.

CONCLUSIONS

Alain TANNER dit qu’il trouve les sites de ses films et que les films viennent après.
Il dit aussi qu’il évite de filmer des sites naturels grandioses pour ne pas les gâcher.
La musique aussi a été composée avant le film, ainsi seul le réalisateur en a la maîtrise et le ton … comme les décors naturels, elle inspire le film.

Six mois après le tournage du film, il est revenu à Lisbonne comme l’assassin sur les lieux du crime comme pour voler encore quelque chose au réel.

Il s’agit bien d’un réalisateur du respect du territoire. Pour lui c’est ce territoire qui fait l’homme.
On le comprend dans ce film et on comprend les autres territoires qu’il a dépeint, l’usine, la banlieue,…, où l’homme est défiguré.

PESSOA s’écrivait à lui-même et plaçait ses feuillets dans sa malle.
PAUL filme Lisbonne en super8 (10 Mn du film) et envoie ces témoignages à sa femme en Suisse. Elle suit la quête de Paul, tente de comprendre avec amour; mais de si loin elle ne peut comprendre Lisbonne.
On peut aussi penser que Paul envoie ces témoignages à son passé, à l’ancien Paul, avec l’espoir d’un retour, pour se souvenir.

Un psychiatre a dit à Alain TANNER que son film a eu beaucoup de succès car certainement l’expérience de Paul est celle que tout le monde aimerait avoir.

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