- Ah ! cette petite cour derrière l’épicerie avec la chaise longue qui tourne autour du palmier selon les ombres de la journée. Des murs lépreux couverts de fleurs brésiliennes, une fontaine sans eau et le divin thé marocain sur un guéridon de zéliges.
- J’ouvre le journal acheté avant-hier à Fes et pas encore lu.
- Je lis l’article de ce qui est arrivé à Casablanca sans parvenir au bout, et pense aussitôt à dans dix ans et à dans vingt ans où on dira que ces morts ont été inutiles ou utiles. La dialectique de l’histoire, le manque d’immagination et de courage.
- Que dire sur ce sujet qui n’ait pas déjà été dit ?
- Aujourd’hui il sera compris comme jamais. Je monte à ma chambre chercher les chants du divin comte, celui qui se faisait appeler Lautréamont et ouvre au hasard … chant IV … strophe 1 … chant quatrième :
- » Quand le pied glisse sur une grenouille, l’on sent une sensation de dégoût ; mais, quand on effleure, à peine, le corps humain, avec la main, la peau des doigts se fend, comme les écailles d’un bloc de mica qu’on brise à coups de marteau ; et, de même que le cœur d’un requin, mort depuis une heure, palpite encore, sur le pont, avec une vitalité tenace, ainsi nos entrailles se remuent de fond en comble, longtemps après l’attouchement.
Tant l’homme inspire de l’horreur à son propre semblable !
Peut-être que, lorsque j’avance cela, je me trompe ; mais, peut-être qu’aussi je dis vrai. Je connais, je conçois une maladie plus terrible que les yeux gonflés par les longues méditations sur le caractère étrange de l’homme : mais, je la cherche encor… et je n’ai pas pu la trouver !
Je ne me crois pas moins intelligent qu’un autre, et, cependant, qui oserait affirmer que j’ai réussi dans mes investigations ? Quel mensonge sortirait de sa bouche ! ».
Bougainvilliers à Marrakech (Maroc)